Le « conte inouï » en détail

(la présentation générale étant ici)

 

1. J'introduis l'activité et, le cas échéant, le thème et/ou les autres contraintes choisies par l'organisateur.

 

La présentation générale est très courte. J'annonce qu'une histoire va naitre, que nul n'a encore entendue, que moi-même je ne connais pas et qu'elle va naitre de nous, ensemble, ici et maintenant.

 

Cette histoire, ce conte en vérité, peut — ou non — traiter d'un thème prédéfini (celui d'un festival, d'un concours, du cadre dans lequel on intervient…) Et/ou intégrer d'autres contraintes : un personnage, un lieu, un temps… Mon rôle à ce stade sera d'évoquer ce thème (personnage, etc.) juste assez pour s'en imprégner. Ensuite, à Dieu vat !

 

 

 

2. J'appelle les éléments de l'histoire.

 

a) Le tout début : s'agissant d'un conte, il nous faut au moins un personnage, héros du conte. Je demande d'abord un nom pour ce héros. Ensuite : comment est-il/elle ? En termes très généraux : « Dites-moi quelque chose de X. » Aussi une ou l'autre caractéristique morale. Ensuite, un cadre concret de départ : lieu, temps… Il faut très peu pour commencer. Éventuellement, encore un mobile : que fait X. dans ce lieu à ce moment, quelle raison a X. de se trouver là ? Et c'est parti : « Il était une fois… X., qui était comme ci et comme ça, et qui se trouvait à tel moment à tel endroit. Or, précisément à cet instant… »

 

b) Et là, je m'arrête car — comme je l'ai annoncé et le répèterai plusieurs fois — « cette histoire, moi, je ne la connais pas ».

 

Mes questions sont souvent très ouvertes, très générales : « Qu'est-ce qui se passe à ce moment-là ? » Il arrivera que je les resserre : « Est-ce qu'il obéit ? », « Que répond-elle ? », « Où sont-ils maintenant ? » Mais la plupart du temps, je rouvre grand : « Et alors ? » Car la suite ne vient pas toujours — ô combien ! — d'où on l'attend.

 

 

 

3. J'accepte ou refuse les propositions. Je les redis.

 

a) Auditeur passionné, j'accueille avec émerveillement, curiosité, amusement, quasi toutes les propositions, surtout les plus spontanées. Je suis attentif à glaner celles qui émanent des timides qui se surprennent à lancer leur contribution. C'est qu'il s'agit bien ici d'inspiration. J'accepte ostensiblement des propositions qui soulèvent des remous, voire un tollé dans l'assistance : trop simples, trop risquées, trop terre à terre, trop enfantines, trop métaphysique ? J'ai confiance, je prends. En les redisant, je les intègre à l'histoire, et en fait déjà entendre la plausibilité narrative.

 

b) Je refuse cependant, en m'en expliquant très brièvement, dans quelques cas.

 

- Lorsqu'un intervenant livre plus d'un élément à la fois : « Elle défait ses souliers et le poisson les avale… » Je garderai : « Elle défait ses souliers. » Motif : éviter qu'on se mette à construire nous-même l'histoire, à projeter, à conduire. Revenir à accueillir, instant après instant. Je l'exprimerai autrement : « On ne sait pas, avant qu'elle ait ôté ses souliers, ce qui va se produire après. Tout peut arriver. Suspense ! Voilà, Cendrine ôte ses souliers. À ce moment-là… ? » (Il arrive, bien entendu, qu'un autre participant — et c'est aussi un test par rapport à ma conduite — saute sur l'occasion pour répondre : « Le poisson les mange. » J'accepte avec enthousiasme, comme le reste.)

 

- Lorsqu'un élément proposé me parait servir le besoin de briller de l'intervenant aux dépens de l'histoire : surenchère à la gaudriole, à l'absurde, au jeu de mots, à l'anachronisme gratuits…

 

- Ou pour cause d'atteinte à la magie propre du conte : « Elle se réveille et voit que ce n'était qu'un rêve. » Par exemple. C'est l'auditeur, l'amateur de contes en moi qui parfois se rebiffe ou devient subitement très dubitatif, et je l'écoute en permanence.

 

- Théoriquement, je refuserais toute proposition haineuse, excluante… cela ne s'est jamais produit.

 

c) En redisant l'élément qui vient de sortir, à la fois je le rends audible pour tous et je l'intègre à l'histoire.

 

 

 

4. Je régule les interventions, bien entendu.

 

Pour mémoire : je tiens la position du régulateur : quand plusieurs personnes interviennent (ou veulent intervenir) en même temps, quand ce sont toujours les mêmes, ou que ça vient toujours du même côté… Comptent ici la qualité d'attention et la manière. La sincérité qui fait accepter un recadrage. Mais ceci est commun à toute animation interactive.

 

 

 

5. À l'occasion, je résume, reprends tout ou partie de l'histoire déjà née, je sollicite l'histoire en m'interrogeant à voix haute.

 

Par exemple lorsque celle-ci continue à se dérouler, mais que j'en perds de vue le fil. Je peux rappeler les enjeux du héros : « Il était parti décrocher la lune et le voilà maitre-nageur à Torremolinos ! Le pauvre. Se souvient-il seulement de ce qui l'a fait quitter son pays ? » Ou, dans un autre cas de figure : « Et pendant que ce banquet se prolonge, Élise poursuit probablement de son côté sa trajectoire rectiligne dans l'espace. » Ou je mets en perspective : « Encore une fois, il touchait au but, encore une fois, il a trop parlé. Ah là là ! »

 

Mais je n'invite pas à une réaction directe : je rends l'histoire à son déroulement : « En tout cas, Pluton est là, face à cette salamandre qui semble vouloir lui parler. Que lui dit-elle ? Lui parle-t-elle finalement ? »

 

 

 

6. Je gère le temps et le rythme et, le moment venu, j'invite l'histoire à se conclure.

 

a) Dans les grandes assemblées, un assistant-maitre du temps peut être utile, ne serait-ce que pour me rappeler l'heure. De même si l'horaire est très contraignant. Cela peut se combiner avec une fonction de perchman, qui permet qu'on entende les propositions.

 

b) Avec ou sans assistant, selon le déroulement de l'histoire, le temps imparti et/ou les besoins de l'assemblée, j'invite l'histoire à se fermer, à se conclure, ce qu'elle fait en général avec brio et en me/nous surprenant jusqu'au dernier instant.

 

 

 

7. Selon le temps disponible et les choix opérés avec l'organisateur, je la redis d'une traite, tout de suite ou plus tard.

 

C'est l'occasion d'en percevoir l'unité, la force, la beauté. De toucher du doigt la connexion entre une part de notre humanité (disons l'enfance) et l'essence du conte. De réaliser qu'au fond de nous, nous connaissons le conte, et vice versa.

 

Restitution immédiate ou différée (idéalement, un peu plus tard dans la même veillée, par exemple) ? Cela dépendra du dispositif établi avec l'organisateur, du contexte.

 

 

 

8. Facultativement, j'en communique une version audio ou écrite après coup.

 

À des fins de publication sur le site de l'organisateur par exemple.